lundi 29 septembre 2008

Illusion... ?

Petit texte intéressant (bien écrit, du moins) de Louis Jouvet, tiré de la préface de la traduction de Pratica di fabricar scene e macchine ne'teatri de Nicola Sabbatini (1638) sur l'idée (parfois simpliste) du théâtre dans la tête du spectateur (et parfois même, de ses artisans). Sur l'illusion. Texte qui, finalement, pourrait se résumer à une seule question: qu'est-ce que le théâtre?

[...] Une grande toile peinte en vert, posée à plat sur la scène, et au-dessous, rampant sur le plancher, des figurants qui s'agitent, vidant des querelles personnelles à grands coups de pied au derrière, c'est la "mer et ses flots", dans l'imagination du public. Une vieille tôle rouillée qu'on secoue dans un coin de coulisse, c'est le "tonnerre"; quelques pois secs roulés au fond d'un carton à chapeau font "la pluie et l'orage", et "l'averse" s'obtient avec une poignée de papier de soie dont on frotte le revers d'un châssis.

Telle est la cuisine du théâtre pour le spectateur. Puis le rideau se baisse, des hommes se précipitent en désordre pour déménager en hâte de magnigique palais en carton et des architectures cyclopéennes encontre-plaqué; des forêts construites en filet de pêche s'élèvent dans les airs, s'enchevêtrant avec un salon Louis XV qui va servir tout à l'heure à la pièce. C'est l'idée qu'on a généralement des entr'actes, pour peu qu'on se soit imprudemment trouvé sur scène à cet instant.

Telle est l'imagination dérisoire que se fait du théâtre le public. La dérision ne s'exerce que sur le sublime ou le merveilleux, elle s'y nourrit et s'y développe mieux que partout ailleurs. Le commerce de l'illusion au théâtre suscite chez ses amateurs une constante défiance envers l'objet de leur passion et entretient une ironie contradictoire qui est nécessaire pour affiler jusqu'à l'aigu leur plaisir et développer leur sens critique. [...]