samedi 23 avril 2011

Une «Tempête» à l'UQAC

Image servant de base à l'affiche de la production

Encore une fois, cette année, l'UQAC (le Module des arts, à vrai dire) nous convie à assister à la production étudiante... lieu idéal pour entamer réflexions et questionnements sur la pratique actuelle. Cette année, au programme, rien de moins que La Tempête.

Jamais cette pièce de Shakespeare n'a mieux porter son titre (et le sens du titre) que dans cette version universitaire abordée sous l'angle de l'interdisciplinarité. Une véritable tempête de propositions - un brin anarchique -, une bourrasque de sens multiples, et des mots qui surgissent de partout comme tout autant grêlons qui tombent sur une terre froide et gelée.

Parce que oui, cette Tempête est costaude. Deux heures d'un réel engagement des étudiants (ils sont treize sous la direction de Jean-Paul Quéinnec) partis à l'assaut de ce monument de la littérature dramatique. Deux heures d'une preuve à chaque minute renouvelée qu'une relève se prépare rigoureusement. Deux heures où les Prospero, Cabestan, Miranda et autres acolytes fictionnels se débarrassent de leur chape baroque pour entrer de plein fouet dans la contemporanéité.

Dans cette production, ces personnages perdent leur unicité au profit d'une polyphonie, d'un de chœur éclaté où les voix s'emmêlent, se croisent, se superposent au gré d'une distribution mouvante telle une mer déchaînée. Quéinnec s'explique dans le programme: Cette dynamique du joueur-acteur me pousse à distribuer les rôles à la manière d'une ronde; un acteur pour plusieurs personnages, un personnage joué par différents acteurs. Ce n'est plus la traditionnelle «construction de son personnage» qui l'emporte mais la relation à tous les personnages. Un exercice exigeant pour les interprètes qui initient une parole et qui en attrapent une autre au vol... et qui revêtent non pas une ou quelques identités mais toutes celles-ci.

Évidemment, cette explosion des figures ne facilite pas, pour le spectateur (bousculé dans sa conception théâtrale toute simple), la compréhension du texte, de la fable, malgré l'attention porté au problème: Repérer cette relation nécessite des signes de passation à l'aide du texte (et sa mise en voix) et du costume. Ce dernier pour contribuer au mouvement de la ronde se doit d'être léger Alors, nous n'en conservons que le tissu. Chaque personnage est identifié à une couleur/texture de tissu. Si les mots, les répliques s'échangent bien et passent facilement de l'un à l'autre, il en va tout autrement du sens global qui lui, devient parfois fuyant. Et c'est, à mon avis, le premier écueil possible de ce travail.

Cette recherche d'ouverture de la parole se conjugue également à une relation à l'interdisciplinarité. Une relation qui prend beaucoup de place dans la représentation (notamment par la présence sur le plateau des nombreux techniciens): vidéo et projections, manipulation du son, objets, chorégraphie. Un dialogue qui cherche à s'installer et tisser des liens qui donnent de fort bons moments (comme par exemple, la présence constante de Prospero par le biais de la vidéo ou la ronde des tissus autour du plateau), des moments esthétiques (consolidés par l'apport d'Alexandre Nadeau, éclairagiste de son état qui possède son métier et l'étale avec finesse et sensibilité) bien que certains choix apparaissent parfois obscurs. Cette recherche d'interdisciplinarité (et c'est, à mon sens, le second écueil éventuel) peut, du coup, à quelques occasions, donner l'impression d'être superflue et autonome par rapport à l'objet théâtral. Peut-il vraiment y avoir un dialogue si l'une des parties se referme sur elle-même pour se lancer dans un monologue tautologique?

C'est sous cette emprise que l'espace scénique devient un immense terrain de jeu, vide et abstrait, si ce n'est de la présence de la scénographie aérienne de Chantale Boulianne composée de panneaux de voile flottants et de modules servant, au besoin, de tables de travail et de dispositifs de jeu... vide mais paradoxalement plein de sollicitations diverses. Et ces sollicitations viennent de partout: lumières, son, image, déplacement, jeu...

Tous vêtus de jeans et d'un haut gris, les acteurs, présents du début à la fin, s'astreignent à un jeu gestuel rigoureux, précis, soutenu par une parole-matière, plus proche de la forme textuelle et de sa sonorité que de la création du sens, une parole-matière proférée avec conviction où, comme affirme Valère Novarina dans Devant la parole, parler n'est pas communiquer. Parler n'est pas s'échanger et troquer des idées [...], parler c'est d'abord ouvrir la bouche et attaquer le monde avec, savoir mordre.

Une mise en scène et en espace (dont la mise à profit du Studio pour créer des effets d'apparition et de lointain) généralement juste et efficace. Une mise en scène et en espace qui guide plus qu'elle n'impose. Une mise en scène et en espace qui délaisse la théâtralité pure pour assumer une certaine performativité (et en ce sens, la fin de la représentation par la lecture du texte projeté sur le mur et ce, selon ce qu'il m'a semblé, de façon aléatoire, illustre bien cette dernière notion).

Voilà donc à quoi nous sommes conviés à l'UQAC. Un bon spectacle? Pour certains, assurément. Pour d'autres, une bonne et forte remise en question des acquis et des présupposés... et en ce sens ce théâtre reste utile. Il reste une représentation ce soir.
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Mise en scène: Jean-Paul Quéinnec | Assistance: Anick Martel et Élaine Juteau | Concepteurs: Alexandre Nadeau, Andrée-Anne Giguère, Pierre Tremblay-Thériault, Chantale Boulianne, Guillaume Thibert | Collaborateurs: Dany Desjardins, Dany Lefrançois, Hélène Bergeron | Comédiens: Simon Allard, Caroline Beaulieu, Julie Beaulieu, Patricia Boily, Cynthia Bouchard, Noémie Dorchies, Valérie Essiambre, Sébastien Ferlatte, Vincent Juneau-Martin, Priscilla McLeod, Anaïs Plasse, Julie Tremblay-Cloutier et Douglas Tavares Borges Leal.