mardi 13 décembre 2011

Les interrelations entre les différents pôles théâtraux

Je continue à lire et à réfléchir à une conception meyerholdienne du théâtre autour de laquelle s'articulera les trois principaux pôles théâtraux que sont la LITTÉRARITÉ, la THÉÂTRALITÉ et la PERFORMATIVITÉ. Et pour réfléchir, j'ai l'habitude de barbouiller, de dessiner, d'écrire dans mes carnets... ce qui me permet de reproduire ici, avec la propreté de l'informatique, l'un de mes derniers schémas...


Je n'invente rien là... mais ça me permet tout de même de donner une forme à ces notions qui demeurent floues avec pour conséquence, qu'il est possible de leur faire dire ce que l'on veut... comme le fait que le texte est générateur de discours (de littérarité), qui permettra d'élaborer une forme scénique (la théâtralité), dans laquelle pourra émerger, par l'action du comédien, la performativité pour porter le discours... et ainsi de suite.



Une laideur transcendée!

Mademoiselle Duchesnois, par François Gérard

J'aime vraiment beaucoup lire sur ces grands acteurs-trices qui ont marqué l'histoire du théâtre de leur passage. J'aime les descriptions qu'on fait d'eux. Parfois avec complaisance. D'autre fois avec une sublime cruauté. Ou parfois encore, avec un mélange des deux qui font rêver à cette période glorieuse où l'art dramatique tenait le haut du pavé.

Voici la (dure) description - selon le récit de M. de Lanzac de Laborie, publié dans Grandes actrices - des débuts de l'une de ces glorieuses femmes, Catherine-Joséphine Rafin dite Mademoiselle Duchesnois (1777-1835) qui dû toutefois se battre contre un ennemi de taille: son apparence (déjà...):

Il [ndr.: le ministre Chaptal] vit une grande jeune fille de vingt-deux ans, à la taille élancée, mais au teint bistre, aux traits disgracieux et surtout à l'expression angoissée des personnes qui, parties de bas, de très bas, ont toujours peut qu'on leur jette à la face un passé d'opprobre et de misère. Invitée pour la forme à débiter quelque tirade classique, sa physionomie, tout à l'heure si ingrate, devint si touchante, surtout sa voix se révéla si pathétique, si mélodieuse, que le ministre l'encouragea et lui indiqua un maître plus approprié à son genre de talent que le facétieux Dugazon, à savoir le poète tragique Legouvé.

Eh oui. Il s'agit de la même dame que celle illustrant le billet. En matière de laideur, il y a pire... Mais ce n'est pas tout. Ce Chaptal revient dans l'histoire quelques années plus tard, alors que Legouvé tente de faire entrer Mlle Duchesnois dans l'auguste maison, la Comédie-Française. Les mots viennent cette fois de M. A. Dinaux:

M. Chaptal se refusait à accorder un ordre de début à Mademoiselle Duchesnois, persuadé qu'elle était trop laide pour réussir. Madame Lebrun, toujours obligeante et protégeant les arts dont elle en cultive un d'une manière si brillante, pria Madame de Montesson de donner une soirée pour Mademoiselle Duchesnois; elle lui fit promettre que Madame Bonaparte y vint ainsi que M. Chaptal. Madame de Montesson y consentit et rénit environ deux cents personnes. Mademoiselle Duchesnois, à cette époque, était d'une affreuse maigreur; sa toilette plus que simple fut arrangée tant bien que mal par Madame Lebrun.

[...] Mademoiselle Duchesnois récita le rôle de Phèdre et une partie de celui de Roxane d'une manière si admirable que le ministre, oubliant comme tout le monde les traits peu agréables de cette jeune personne, lui donna immédiatement son ordre de début... Madame Bonaparte se chargea du costume.

Pour une question de goût personnel de ce ministre, l'Histoire théâtrale aurait dû se passer d'une grande parmi les grandes... Alors que, comme le raconte Lanzac:

Elle rendit avec une incroyable profondeur de sentiment, avec un charme de diction inconnu avant elle, les passions et les remords de Phèdre, torturée par un amour criminel. De vieux amateurs, qui savaient par coeur leur Racine (c'était commun alors), croyaient entendre pour la première fois la musique de ces vers, d'autres pleuraient au récit que l'héroïne faisait de ses souffrances, comme à un mélodrame nouveau.

Et ça joue dur encore une fois:

Geoffroy [ndr.: un critique de l'époque], qui ne devait pas tarder à se montrer si hostile, si grossier, allait, dans un premier élan d'enthousiasme, jusqu'à féliciter la débutante de sa laideur. Il disait: Elle recevra des éloges et non des madrigaux, elle entendra des vérités utiles et non des mensonges galants.

Et le reste de son histoire continue entre cabales humiliante pour elle et dénigrement alors qu'elle atteint les sommets de l'art théâtral. Son entourage - de comédiens, de critiques, d'auteurs - s'adonnent à une méchanceté sans borne.