samedi 3 mars 2012

Mademoiselle Dumesnil: pompeux éloges (!?)


 Certaines grandes actrices de la grande histoire du théâtre ont su devenir de véritables icônes de leur vivant et voir, à leurs pieds, tout ce que Paris comptait d'auteurs, de philosophes, de mécènes, de protecteurs et d'amants. Une époque révolue...

Voici comment (Louis de?) Boissy* salua avec une emphase pompeuse les débuts à la Comédie-Française d'une jeune comédienne qui deviendrait une véritable vedette, Mademoiselle Dumesnil:

Dans son brillant essai qu'applaudit tout Paris
Le suprême talent se développe en elle,
Et prenant un essor dont les yeux sont surpris,
Elle ne suit personne et promet un modèle.

L'on rapporte aussi de belle et imagée façon* comment l'un de ses contemporains, le comédien anglais Garrick, parlait d'elle:

- Comment est-il possible, disait-il, qu'un être, à qui la nature semble avoir refusé tout ce qui est nécessaire aux charmes de la scène, soit si parfait et si sublime? Non, la nature a tant fait pour elle qu'elle a méprisé tous les secours d'un art étranger; ses yeux, sans être beaux, disaient tout ce que les passions voulaient leur faire dire; une voix presque voilée, mais qui se ployait à l'expression des grands sentiments et qui étaient toujours au diapason des passions, une diction brûlante et sans étude, des transitions sublimes, un débit rapide, des gestes éloquents sans principes, et ce cri déchirant de la nature que l'art s'efforce en vain de vouloir imiter, et qui portait dans l'âme du spectateur l'effroi, l'épouvante, la douleur et l'admiration; tant de beautés réunies m'ont frappé d'admiration et de respect...

Enfin, ces descriptions ne peuvent faire oublier que ce monde passé était également en proie aux cabales et aux tractations de coulisses de toutes sortes... ce qui mène la Clairon, elle aussi grande comédienne (dont j'ai abondamment parlé et ) et surtout la plus imposante rivale (qu'elle jalousait de façon quasi maladive!) de Dumesnil, à en dresser un portrait cruel et terriblement sarcastique... qui est font peut-être une description plus juste... qui sait...:

Mademoiselle Dumesnil n'était ni belle no jolie; sa physionomie, sa taille, son ensemble, quoique sans aucune défectuosité de la nature, n'offraient aux yeux qu'une bourgeoisie sans grâces, sans élégance, et souvent au niveau de la dernière classe du peuple. [...]

Sa voix sans flexibilité n'était jamais touchante, mais elle était forte, sonore, suffisante aux plus grands éclairs de l'emportement. [...] Ses gestes étaient souvent trop forts pour une femme, ils n'avaient ni rondeur ni moelleux, mais ils étaient au moins peu fréquents.

[...] L'amour, la politique, le simple intérêt de grandeur ne trouvaient en elle qu'une intelligence médiocre, mais, jeune encore, jalouse, ambitieuse, on devait tout espérer de son émulation et de ses études. Telle était Mlle Dumesnil quand je me présentai au théâtre.

L'étude à laquelle je me vouai dès les premiers moments, en m'éclairant sur tous mes défauts, m'apprit, après quelques années de réflexion, à connaître aussi ceux des autres! je m'aperçus que Mlle Dumesnil cherchait plus à séduire la multitude qu'à plaire aux connaisseurs. Des criailleries, des transitions singulières, un débit comique, des gestes bas prenaient souvent la place de ces beautés terribles et touchantes dont elle avait donné de si grandes leçons.

Les sots criaient: bravo! la nature! bravo! mais adorant le talent jusque dans mes rivales, je ne pus m'empêcher de gémir de ce changement, et j'osai lui en demander la cause...

On n'en fait plus. Maintenant, les acteurs et les comédiens sont définis, portraiturés en un ou deux qualificatifs...
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* L'anecdote est tirée de Grandes actrices, leur vie, leurs amours de Marcel Pollitzer, paru en 1958 aux éditions La Colombe.