lundi 31 août 2015

Un Traité bien canadien

Joseph Quesnel

En 1805, un émigré français, Joseph Quesnel (il y a ici une courte biographie), qui se démarquera dans une pratique théâtrale qui n'en finit plus d'essayer de poindre en ces années avec une pièce de théâtre (L'Anglomanie ou le dîner à l'angloise) et un opéra-comique (Colas et Colinette), écrira (en vers, comme tout bon ouvrage du genre!) un Traité de l'Art Dramatique destiné aux amateurs de Québec qu'il fait bon lire aujourd'hui pour tenter de s'imaginer le jeu de l'époque: 

Vous qui, novice encor dans les jeux de Thalie,
Voulez avec succès jouer la comédie,
Agréez qu'en ces vers ma muse, sans façon,
Vous donne sur cet art une utile leçon.
[...]
L'art de représenter n'est point un jeu folâtre,
Il faut du jugement pour briller au théâtre;
Et tel qui quelquefois se croit un bon acteur
Ne fait qu'à ses dépens rire le spectateur.
Acteur, pour réussir voici la règle sûre:
Observez, imitez, copiez la nature;
Examinez surtout quelles impressions
Produisent sur les traits toutes les passions.
Afin, selon le cas, qu'en votre personnage,
Vous puissiez sur cela mouler votre visage.
[...]
Acteurs, pour conserver toujours l'illusion,
À ce précepte-ci faites attention:
Tout le temps qu'un acteur est présent sur la scène,
Il doit être attentif et toujours en haleine;
Toujours à l'Action il faut qu'il prenne part,
Et la marque de geste ainsi que du regard.
[...]
Fuyez en prononçant toute affectation
Et parlez comme on parle en conversation.
[...]
Le langage affecté ne peut plaire à personne;
Mais rien n'est plus choquant qu'un acteur qui gasconne
Et qui, croyant briller, fait ridiculement
Sonner chaque syllabe avec un ton pédant;
C'est d'un acteur sans goût le défaut ordinaire.
Ne donnez pas pourtant dans un excès contraire,
Et gardez-vous encor, pour avoir plus tôt fait
De réciter un rôle ainsi qu'un chapelet.
[...]
Pure et chaste en ses goûts, de l'aimable Thalie
Gardez-vous de jamais blesser la modestie;
C'est en vain dans leurs jeux que d'indiscrets acteurs
Se flattent d'amuser en corrompant les moeurs;
Si d'un trop libre auteur vous choisissez l'ouvrage,
Des endroits mal sonnants il faut rayer la page;
Mais pour mieux faire encore, et si vous m'en croyez,
Faites choix des auteurs décents et châtiés. 

Il y a, dans ces quelques strophes (tirées du 350 ans de théâtre au Canada français de Jean Béraud) plusieurs passages intéressants... et je me demande bien à quoi pourrait ressembler, aujourd'hui, avec la diversité des pratiques, un tel Traité...

vendredi 28 août 2015

«Au champs de Mars» - [Carnet de mise en scène]

Distribution de la production (sens horaire, à partir du plus grand!): 
Denis Lavoie, Stéphane Doré, Céline Gagnon, Gervais Arcand, France Donaldson

Ce week-end, au Théâtre Mic Mac, nous remettons la production 2014 (Au champ de Mars de Pierre-Michel Tremblay) en vue d'une participation au Festival international de théâtre de Mont-Laurier qui se déroulera à la mi-septembre. 

Ainsi, la dernière représentation remonte au 3 mai 2014... C'est donc dire que le travail est loin. Loin mais pas nécessairement disparu. Parce qu'il est assez surprenant de constater que, dans ce cas, après une petite réactivation (les comédiens se sont réunis le 19 août dernier pour une italienne), la mémoire revient rapidement et le texte et le corps suivent. Un peu rouillés, peut-être. D'où le retour en salle de répétition!

Il faut maintenant s'assurer que l'ensemble tient toujours. Que le temps n'a pas atténué ou faussé les intentions. Que ce qui était placé il y a un an et demi a toujours du sens. Que rien n'est forcé et que tout coule de source. 

Ce retour sur une production, c'est une chose que je fais rarement (mes spectacles n'ayant généralement pas une très longue durée de vie). Et pourtant c'est rempli d'enseignements. C'est voir sa propre pratique, son propre travail sous un oeil différent, avec une distance critique. C'est la possibilité de mener le tout ailleurs... même moi.



jeudi 27 août 2015

«Kurios» du Cirque du Soleil


Pendant mes vacances, à Chicago, je suis allé voir Kurios du Cirque du Soleil. C'était là la première production de cette - malheureusement! - «ancienne» institution québécoise que je voyais... Production sans commune mesure avec les moyens dont je dispose généralement pour un spectacle!

Kurios, c'est entrer dans l'univers d'un inventeur loufoque entouré de personnages étranges (qui n'est pas sans rappeler l'Edouard aux mains d'argent de Tim Burton et Le Ballet triadique d'Oskar Schlemmer). Une esthétique flamboyante et théâtralement surannée. Des costumes magnifiques. Une mise en scène et une exécution menée au quart de tour. C'est ça, le Cirque.


Kurios, c'est aussi (et surtout!) des numéros de haute voltige! Acrobates de toutes sortes, contorsionnistes, équilibristes, jongleurs et clowns! Tout y est. Au point où les mots manquent et ne subsistent que les clichés: c'est parfait (quoiqu'un peu long dans la seconde partie), époustouflant, étourdissant!

Mais ce qui est le plus fascinant dans ce type de spectacle, c'est l'exceptionnelle maîtrise physique de ces gens. C'est véritablement la mise en représentation de la rigueur et de la précision... un travail du corps qui ne laisse rien au hasard, 

samedi 15 août 2015

De la diversité des pratiques théâtrales

 
Il faudrait pouvoir éviter de dire le théâtre.
Et plus encore: la dramaturgie.

Car lorsqu'on fait du théâtre, on sait toujours qu'autour existent d'autres manières d'en faire, antinomique, adverses, incompatibles, totalement étrangères, indifférentes ou ennemies. La pratique du théâtre se nourrit et s'inspire de ces adversations, de ces différences, de ces polémiques. 

C'est là, je trouve, une belle mise en garde quand vient le temps d'aborder un travail scénique autre que le sien. Elle se trouve au tout début de l'essai Dramaturgies de plateau de Anne-Françoise Benhamou, publié en 2012 aux éditions Les Solitaires intempestifs

Les pratiques théâtrales sont nombreuses et puisent à diverses écoles de pensée. Et toutes se valent finirait-on par affirmer.
C'est pourtant plus facile à dire, à écrire, à lire qu'à faire. Car cette vertueuse ouverture n'est pas si simple. Et parfois, sans trop s'en rendre compte, on s'enferme dans une vision, une ligne de pensée qui biaisera nécessairement le regard du praticien devant un spectacle qui lui est proposé.

Un peu plus loin, Mme Benhamou poursuit:

[...] La plupart des metteurs en scène, quand ils s'expliquent sur l'art qu'ils pratiquent, parlent plus souvent d'ailleurs du théâtre que de leur théâtre. Qui n'a pas assisté, voire participé, à ces vaines discussions entre critiques, spectateurs passionnés, professionnels: Ce n'est pas du théâtre! Mais si, maintenant c'est ça, le théâtre!... Comme si, à chaque fois qu'un événement bouleversant, scandaleux, nouveau ou incongru avait lieu sur la scène, c'était le théâtre dans son identité, dans sa dignité ou dans sa nécessité, qui était impliqué. Comme si chacun de ceux qui le font, le regardent, se confrontait toujours peu ou prou, au-delà de la conjoncture d'un spectacle en particulier, au théâtre comme un tout.

Les vacances!

Enfin les vacances... 

L'année qui se termine maintenant fut chargée. Très chargée.

Au chapitre du travail, c'était mon premier tour de piste à titre de directeur général de la Société d'art lyrique du Royaume... qui s'est soldé, à partir du mois de mai, avec l'ajout de la fonction de directeur artistique!

Pendant ce temps, le Théâtre 100 Masques n'était pas en reste et je continuais à le diriger de loin...

Mais c'est surtout les projets de mises en scène qui furent nombreux!

Tout d'abord, Trou noir... présenté en septembre et en octobre dans sa seconde version (avec Erika Brisson à l'interprétation).Puis ce fut la refonte du spectacle Jeune public de la SALR, Offenbach se réinvente en novembre... Vinrent ensuite deux productions, presque en simultanée... à savoir L'Étoile de Chabrier, pour cette même SALR et Sous le regard des mouches pour le Théâtre Mic Mac. La saison de la mise en scène s'est finie par Le Revizor de Gogol pour le Théâtre 100 Masques dans le cadre de sa production estivale. 

Une grosse année. Une année stimulante.






mardi 11 août 2015

Du démontage d'un spectacle...

Peut-être est-ce le trauma répété sur lequel le théâtre est bâti  - à chaque dernière, les spectacles disparaissent corps et biens pour hanter un temps les mémoires fragiles des spectateurs puis reposer dans les cimetières froids de l'histoire du théâtre -, peut-être est-ce cette perte inéluctable qui entraîne ce rapport compensatoire ou dénégateur au Tout du théâtre. Il n'y a qu'à assister, à peine éteints les applaudissements de la «dernière», au démontage d'un décor, souvent pratiqué de nuit par une équipe de technique fatiguée et pressée d'en finir, pour mesurer ce à quoi s'exposent ceux qui font le théâtre. On manipule désormais sans précaution superflue un objet qui ne vivra plus, et lorsque les machinistes séparent les éléments les uns des autres, le bruit de ces chocs amortis m'a toujours paru avoir quelque chose de macabre. Ultima necat.

Ce petit passage du bouquin Dramatugies de plateau (de Anne-Françoise Benhamou, publié aux Solitaires intempestifs) est très beau parce qu'il parle de ce moment précis où le théâtre prend fin. De ce moment précis que peu de gens vivent. Ce moment où on voit l'ensemble du travail intensif des derniers mois (tant l'ensemble architecturale que le jeu et la mise en scène) se déconstruire en quelques petites heures en laissant un vide immense, une nostalgie et une lancinante réflexion: tout ça pour ça?

Il n'y aura pas définitivement pas d'autres représentations.

Ce contraste entre l'entrée en salle fébrile, nerveuse et pourtant attentive, et cette sortie rapide sans trop d'états d'âmes surprend toujours... laisse pantois. D'autant qu'il ne s'agit que d'un passage de quelques jours, quelques semaines... Mais quelle intensité! 

lundi 10 août 2015

Où est le théâtre?




Le théâtre est un faire-semblant et il doit commencer par délimiter dans le monde bien réel où il se manifeste les quelques pieds carrés qui vont être réservés à la fiction. Mais à cette clôture de la scène répond l'ouverture du spectacle. On ne joue pas dans un cloître, sur une place que l'on ferme par des «échafauds», on joue au milieu de la foire en train de se dérouler, comme dans la peinture de Balten, sur la place envahie par la fête de la guilde, comme dans les gravures de Bruegel, on joue dans la rue qui n'arrête pas pour autant son activité; et si la farce est représentée à l'intérieur, c'est comme à Rouen en 1556, dans une taverne. La farce ne se joue que dans les lieux qui appartiennent en propre au public populaire, là où il vit, là où il se réjouit, là où il règne en maître, là où les «gens biens» ne se sentent pas vraiment chez eux; de ce spectacle pourtant, nul n'est exclu.
Michel Rousse, La scène et les tréteaux, p.245

Le théâtre est un art éminemment populaire... même dans ses circonvolutions élitaires et performatives: sans spectateur, peut-il seulement exister? Le théâtre est un art de rencontre(s)s. Le théâtre ne doit pas attirer le public à lui mais aller vers le public. Le théâtre doit s'inscrire dans un quotidien bien réel, bien vivant pour s'ancrer et atteindre l'intérêt de celui qui le regarde. 

Les modes de production actuels se sont-ils trop éloignés de ces principes? Le théâtre, comme art de la scène et de la noirceur de la salle s'est-il trop refermé sur lui-même?

Où est le public?

samedi 8 août 2015

Nouvelles acquisitions

Même si je n'ai pas écrit beaucoup ici depuis le mois d'octobre dernier, il n'en demeure pas moins que j'ai continué à enrichir ma bibliothèque théâtrale qui, par ailleurs, est passée entre-temps de Laterrière à Arvida!

Mon nouveau bureau à domicile ressemble donc à ça (et non, il n'est pas sur un plan incliné):


Donc, comme je le mentionnais en début de billet, j'ai continué à recueillir de nombreux ouvrages sur le théâtre (incluant de nombreuses pièces) dont...


... cette Histoire du Théâtre d'André Degaine, illustrée à la main et qui représente une fort bonne initiation à cet art...


... cette autre histoire du théâtre, Le Théâtre des origines à nos jours qui comportent de nombreuses illustrations fabuleuses...


... et Cent ans de Music-Hall... pour aborder un genre tout en frou-frou et en paillettes.

vendredi 7 août 2015

«Triple Sec»... du théâtre d'été à Roberval


Je suis allé voir, hier soir, l'une des dernières représentations de Triple Sec présenté par le Théâtre du 2X4 (qui en est à sa seconde saison à Roberval). Un (bon) texte de Maxime Champagne, mis en scène par Jean Belzil-Gascon. 

D'emblée, il faut saluer la volonté de cette troupe, menée par Benoît Arcand, originaire de la place (et fils de Gervais Arcand, comédien bien connu du Théâtre Mic Mac... troupe qui soutient aussi la venue de ces jeunes) de repartir une tradition de théâtre d'été dans ce coin de la région. Parce que oui, il s'agit de théâtre d'été, dans la plus pure tradition de ce qui se fait dans le genre (sans pour autant que ce soit convenu). 

Une histoire rocambolesque, truffée de quiproquos, jetant en scène des personnages névrosés aux prises avec des questionnements existentiels minés qui par leur ego, qui par celui des autres, qui par les situations. Une intrigue bien ficelée, en deux parties (bon... une comparaison entre les deux parties sera inévitable... même si, en général, elles se valent l'une l'autre), qui évite généralement les mièvreries pour dresser un univers décapant mêlant dialogues acerbes et apartés. 

Mais la véritable force de ce spectacle reste la distribution. Cette fable moderne sur les relations inter-familiales laisse toute la place au talent des comédiens. Aux côtés des Christian Ouellet  et Jérémie Desbiens déjà connus dans la région, les spectateurs peuvent découvrir trois autres comédiens à l'avenir fort prometteur: Benoît Arcand, Caroline Bélanger et Marion Barot (tous trois - de même que Desbiens - finissants à l'École Nationale de Théâtre). Du jeu solide, bien maîtrisé. Du jeu nuancé malgré la caricature. 

La réserve viendra plutôt de l'esthétique globale (scénographie et costumes) qui ne parviendra jamais tout à fait à se hisser au même niveau de qualité... oscillant entre le kitsch des années '80 et la contemporanéité, la suggestion et le réalisme carton-pâte du genre. 

Il n'en demeure pas moins que l'ensemble de cette production fait passer un bon moment de théâtre!

Il ne reste que trois représentations seulement, ce soir, demain et dimanche, à 20h, à la Salle Lionel-Villeneuve de Roberval (là où joue toujours le Théâtre Mic Mac).