mercredi 27 avril 2016

Aimer ou ne pas aimer le répertoire...


Voici un extrait de Amour et désamour du théâtre par Georges Banu (ouvrage fort intéressant publié en 2013 chez Actes Sud), dans un petit chapitre consacré au  théâtre de répertoire:

Le répertoire, l'aimer, ne pas l'aimer? Enjeu décisif...

Le répertoire est le capital du théâtre, capital accumulé à travers le temps qui se constitue en soc;e pérenne pour l'art passager de la scène. [...] Dialectique constitutive d'un art au carrefour du passé et du présent. Mais dialectique controversée.

Le répertoire renvoie au musée, alors qu'une certaine catégorie d'artistes conteste le musée qu'elle assimile à la vétusté et à l'opacité du présent. [...] [Elle entretient] une réticence forte à l'égard du patrimoine qui a été conservé au nom d'un culte extrême, culte voué à un présent oublieux et agressif à l'égard de tout héritage. [...] Le répertoire renvoie le théâtre du côté de la persistance du passé contraire au culte de l'immédiat contemporain.

[...]

Une autre réserve souvent entendue: le théâtre appelé à s'appuyer sur le répertoire ancien se trouve interdit, voire exclu de l'excitation que procure la surprise. Tout est connu d'avance [...]. Le répertoire est voué à l'exploration du connu.

En revanche, le répertoire, à ceux qui le visitent et s'en nourrissent, permet de s'ériger dans le lieu privilégié où s'instaure la relation dialectique entre le même et le différent.  Le même du texte renvoie à un temps immobile et se constitue en termes de référence pour une conduite ou un acte: il ne bouge pas, il perdure, énigmatique et définitif. Mais, par ailleurs, le répertoire ne reste pas inscrit sur une page, il se voit déplacé sur une scène où d'autres corps l'investissent, d'autre pensées le traversent: alors le différent est à l'oeuvre, [...]

Le répertoire permet à des artistes appartenant à des époques distantes de se rencontrer et de nous faire entendre le dialogue qu'ils nouent.

Je trouve intéressant ce passage parce que lorsque le répertoire est la source d'un projet scénique (comme par exemple - et je parle d'expérience! - les productions du Théâtre 100 Masques ou de la SALR) pointe parfois des questionnements et des interrogations sur la pertinence de s'attaquer à ces oeuvres du passé... et ça arrive somme toute régulièrement... 

Dans les demandes de subventions (et surtout les jurys y attenant!), le répertoire a difficilement la cote... parce qu'il atténuerait voir annihilerait la prise de risques! (Ce risque dont il était question ici.)

Et pourtant... N'a-t-il pas aussi cette faculté de dire le monde d'aujourd'hui? De tirer un fil, une continuité entre des époques différentes, entre leur évolution?