mardi 3 mai 2016

«Comment se monte un Téléthéâtre»


Voici une (longue mais intéressante parce que d'une autre époque) description de la façon dont Radio-Canada montait un des éléments majeurs de sa programmation: les téléthéâtre. Un rendez-vous télévisuel incontournable dont il ne reste plus qu'un vague écho dans la captation d'une pièce  et la très rare diffusion de celle-ci sur les ondes contemporaines. Cette (longue mais fascinante) description a été publié en 1960 dans Le Livre de l'année 1960 (relatant les événements de l'an précédent...) publié aux Éditions Grolier de Montréal. Elle est le fait de M. Jean-Paul Ladouceur, directeur de la production à Radio-Canada

«Merci tout le monde». Les derniers mots du réalisateur envahissent l'intercom et vont rejoindre tous les collaborateurs, comédiens, musiciens, machinistes et techniciens. Le réalisateur retire son pouce de la clé du panneau de contrôle et le système de communication surchargé de directives depuis trois jours s'éteint graduellement. Le spectacle est terminé. Le «fade-out» traditionnel a été lancé sur le plateau. L'intensité des projecteurs diminue et l'ombre avant des coins du studio. Dans 30 minutes, la grande boîte grouillante d'activité deviendra déserte, obscure et silencieuse. Le réalisateur, bien qu'exténué, retourne cependant à son bureau pour y prendre le texte du prochain spectacle. Dans six semaines, il dirigera un autre téléthéâtre du studio 40.

Des mois avant la date de l'émission, l'oeuvre à jouer est choisie [...]. Le réalisateur achète un texte ou un script avec l'approbation de son superviseur et se met immédiatement au travail. L'auteur ou l'adaptateur travaille avec lui. Il faut couper ou allonger le texte à la longueur du programme (1 heure 29 minutes et 25 secondes de texte). Si le programme est commandité, on y retranche la longueur permise aux messages commerciaux. Le texte doit tenir compte de l'espace alloué au studio, du nombre des décors, du coût des décors, de la distribution des acteurs, des limites imposées par les problèmes techniques, des insertions sur film, des changements de costumes ou de maquillages et de la durée totale des répétitions [...] Ensuite, il (le réalisateur) prépare sa réunion de production où, avec le gérant de la production, il expose à tous les chefs de service (les concepteurs), les besoins de son téléthéâtre. [...] Des esquisses de décors et de costumes apparaissent sur la table, sont disséquées puis rejetées pour faire place à d'autres qui permettront ou un meilleur éclairage ou des déplacements plus faciles de caméra ou des espaces voilés rendant possible des angles d'images plus intéressants. L'Administration écoute attentivement, prononçant occasionnellement un veto sans appel sur une dépense jugée injustifiable. Le coordonnateur commercial surveille les intérêts du commanditaires et voit à ce que rien dans l'oeuvre ne vienne créer des conflits. Le directeur de la production clôt la réunion en acceptant ou rejetant la proposition budgétaire. [...]

Aussitôt la réunion terminée, la script-assistante [...] fait des listes complètes énumérant l'horaire des répétitions, la description de la plantation des du décor, le détail des costumes et des maquillages, la cédule du régisseur, de l'éclairagiste, du caméraman qui tournera les insertions, le contenu des titres et des crédits, l'approvisionnement des accessoires, meubles et tentures. [...]

[Après l'embauche des comédiens et la négociation des cachets] commencent les répétitions «à froid», c'est-à-dire les répétitions sans décors ou caméras. [...].

Puis l'équipe de menuisiers et de peintres se met au travail. Le trompe-l'oeil est nécessité de premier ordre. Tous les trucs sont acceptables s'ils reproduisent visuellement l'effet désiré. Un tube de carton devient colonne de vivoir et des blocs de mousse plastique se changent en lourdes pierres. Des rubans de cellophane montés sur un éventail électrique brillent nerveusement sous le feu d'un projecteur pour froidement s'installer à la place des flammes d'un foyer. 

Les accessoiristes, au volant de leur camionnettes, font la ronde des magasins de bric-à-brac, des musées, des collectionneurs afin de réunir les objets qui meubleront ce décor.

Les perruquiers fabriquent sur mesure les perruques poudrées pour les courtisans de la cour. À l'atelier de couture, les tailleurs, les couturières, les habilleuses dessinent et confectionnent les vingt robes et habits avec des étoffes choisies sous l'oeil de la caméra.

Les préposés aux effets spéciaux alignent les tuyaux perforés qui imiteront la pluie aux fenêtres entourées de tentures soyeuses qu'on est entrain de coudre. 

Le caméraman des insertions tournent en extérieur les paysages qui seront projetés derrière les écrans transparents pour servir d'horizon aux fenêtres sans vitre. 

Aux services techniques, la trame sonore, musique et effets, prend forme. Le bruiteur recueille sur disque ou ruban les coupures enregistrées ou procède à la collection des objets disparates qui serviront à fabriquer synthétiquement, en direct, les bruits commandés par le texte. 

[...]

Les répétitions «à froid» se terminent et tous envahissent le plateau. [...] Durant trois jours on répète avec les décors, les costumes et les maquillages [sous l'oeil des différents techniciens et caméramans]. Comme des athlètes qui deviennent habiles en pratiquant, tous les membres de l'équipe apprennent chacun un rôle bien minuté. [...]

Le jour de l'émission, on procède à la «générale», dernière répétition au point, qui se déroule avec tout le sérieux et la tension qu'on associe à l'émission même. D'ailleurs, cette générale est kinescopée, c'est-à-dire enregistrée sur film afin de servir de documentation. Elle est le point final qui permet à toute l'équipe de minuter exactement le spectacle. Si cette répétition révèle que le spectacle est trop court ou trop long, on procède aux corrections. La maquilleuse retouche un sourcil trop arqué. Le commanditaire fait corriger l'éclairage sur l'étalage de ses produits. [...]

Les aiguillent de l'horloge filent. Le réalisateur se précipite vers la salle de contrôle, presse le bouton «Attention 30 secondes, Stand-by». Le silence s'empare du contrôle. «Attention-5-4-3-2-1-fade-in, cue, musique». Le bruiteur met en mouvement le disque requis. La caméra UN cadre sur le baril des titres. Le réalisateur se tourne vers l'annonceur, lui fait signe. «Radio-Canada présente... le Téléthéâtre». Les moniteurs s'allument, chacun correspondant à une caméra. Le réalisateur et la script-assistante commandent les coupures et les disques, donnent des ordres aux régisseurs. Les sons viennent de plusieurs endroits et le mur d'en face est couvert d'images. L'intercom est nerveux et le long de son parcours des gens écoutent, attentifs et prêts à servir. Sur le plateau, pourtant, on n'entend que les comédiens. En silence se déplacent les caméras. Les machinistes marchent à pas feutrés et évitent se se montrer sous les lentilles. L'éclairagiste au contrôle passe d'une combinaison d'éclairage sombre à un déluge de lumière. La costumière attend l'ingénue qui devra passer de la robe de paysanne au manteau d'hermine. Les minutes passent, puis l'heure. «Merci tout le monde.»