vendredi 23 décembre 2016

Une (autre!) histoire de Noël...

En cette avant-veille de Noël, voici un billet de circonstances: une plongée dans le répertoire d'Henri Brochet (1898-1952), représentant de ce théâtre catholique du début du XXième siècle. 


En 1930, Brochet fonde la revue dramatique Jeux, Tréteaux et Personnages (dont les multiples parutions occupent souvent beaucoup d'espace dans les sections Théâtre des bouquineries francophones!) et profite de cet outil pour publier ses propres textes. Il en aurait, d'ailleurs, signé 159. 

Parmi ceux-ci, il y a le très moral Noël dans le hameau perdu (daté de 1948)... dont l'extrait suivant - qui commence à la fin de la scène IX de l'acte I - permet de bien saisir le ton, le caractère pittoresque des personnages... et l'intrigue à venir! 

SCÈNE IX

[...]

On frappe à la porte, au fond. - La Morvandelle (note de moi-même: une femme dure, patronne de l'Auberge du Morvan) s'arrête. - Un temps. 

LE PÈRE LELEU (note de moi-même: un vieil homme bon)
On a frappé, je crois.

MORVANDELLE
Je ne reçois plus personne!

On frappe de nouveau, et:

UNE VOIX
Quelqu'un! Est-ce qu'il a quelqu'un?

ESPÉRANCE (note de moi-même: petite-fille du Père Leleu, au très étrange ton poétique... après tout, elle ne porte pas son nom en vain...)
Le bonheur frappe parfois à notre porte; quand on le chasse, il ne revient plus.

MORVANDELLE
À ma porte, le bonheur ne frappe jamais. 

Elle va rapidement ouvrir.

SCÈNE X

Joseph, un homme encore jeune, paraît dans l'encadrement de la porte.

MORVANDELLE sans attendre qu'il parle
Inutile d'insister. Si c'est une chambre que vous voulez, je n'en ai plus.

JOSEPH
Ayez pitié de nous, madame.

MORVANDELLE
Vous êtes plusieurs?

JOSEPH
Ma femme, - elle souffre...

MORVANDELLE
Raison de plus: ce n'est pas un hôpital chez moi.

JOSEPH
Notre petit enfant...

MORVANDELLE
Suffit! Bien le bonsoir.

Elle lui ferme la porte au nez.

SCÈNE XI

ESPÉRANCE toute émue
Le bonheur s'en va! Le bonheur s'envole!...

LE PÈRE LELEU s'est levé
On aurait peut-être pu le recevoir, tout de même; quand il y a de la place pour deux, il y en a pour quatre.

MORVANDELLE 
Je suis chez moi, il me semble!

ESPÉRANCE dans un cri ému
Qui prendra le bel oiseau vivant dans son filet?...

MORVANDELLE
Il n'y a pas plus de bel oiseau que de bonheur derrière la porte: un malheureux de plus à qui la vie se montre telle qu'elle est et qu'elle va régaler de neige et de nuit. Il chantera la même chanson que moi, et je ne serai plus toute seule à maudire cette fin de décembre.

ESPÉRANCE
Grand-père!... Grand-père!... Le chasseur tuera le bel oiseau si nul ne le saisit vivant!

LE PÈRE LELEU
Attends, Espérance, - attends: il ne faut pas avoir le coeur chaviré. Si madame ne veut pas recevoir ce pauvre homme, elle est libre de lui fermer la porte. Mais je vais aller voir s'il trouve un gîte et tu seras rassurée.

MORVANDELLE
Vous allez vous égarer et vous y perdrez votre temps.

LE PÈRE LELEU
Moi aussi, voyez-vous, ça me fait deuil de les savoir sans feu ni lieu.

MORVANDELLE
Je ne peux pas vous empêcher de sortir, - mais, au moins, ne me les ramenez pas: ce que j'ai dit est dit.

Il sort par le fond. 

Et ainsi de suite... jusqu'au dénouement final (Que dire! Une rédemption!) où tous se retrouvent autour d'une mangeoire, dans une crèche, à admirer un Nouveau-Né.

C'est là un type de répertoire, une époque où le théâtre s'élaborait sur une littérature verbeuse pétrie de moralité et de bons sentiments... une veine qui n'est pas sans rappeler le mélodrame qui a marqué la petite histoire dramatique au XIXième siècle.